Extraits de De la luminance à la radiance, les tableaux-livres de Bernard Gerboud par Daphné LE SERGENT (09 2006)

 

Architecte de formation, Bernard Gerboud met en place des volumes de lumière dans les espaces publics comme à la station Marengo, dans le métro de Toulouse. Il transforme ainsi l’espace parcouru, soulignant avec des traits de lumières les structures préexistantes, faisant basculer la volumétrie de l’espace dans le monde éthérée de la vision. […] où la question de la géométrie et de l’optique confondent notre confiance dans le visible.


Les grandes tableaux lumineux de Bernard Gerboud, une fois plongés dans l'obscurité ambiante de la salle d'exposition, altèrent notre perception habituelle de l'espace. Flottant dans la nuit comme des sémaphores venus d'un autre monde, ils diffusent autour d'eux un halo de lumière multicolore. C'est en se rapprochant ou en s'éloignant de ces pièces que le spectateur peut en évaluer la dimension, faisant de chacun de ses pas l'échelle sur lequel va se fier son regard…


… les tableaux-lumière de Bernard Gerboud jouent avec quelque chose d'extra-naturel : les surfaces ne sont plus seulement là pour réflechir la lumière mais deviennent le piège à partir duquel cet ajustement si serré des plans va produire une texture visuelle particulière. C'est comme si l'objet reflétant la lumière devenait soudain source-même de lumière. C'est comme si la luminance se faisait radiance. Et cela nous renvoie à notre tour à la grande question du regard chez les Grecs : la vision est-elle le dû d'un œil rayonnant où celui-ci n'est-il que le réceptacle de la luminosité alentour ? A l'esprit revient d'en faire la distinction. Le corps se retire du tableau de la conscience et des lignes se tracent de part en part, de l'œil à l'objet, de l'objet à l'œil, entre les objets eux-mêmes, si finement que le monde apparaît au-delà de la rétine, au travers du prisme de la géométrie… Chaque objet dorénavant porte en lui le squelette de la géométrie, du calcul et des proportions, et l'artiste n'est pas de reste dans cette course à la démesure. Ainsi il nous fait apparaître toute chose à la lisière du sensible et de l'intelligible : la forme perçue et la forme conçue s'épousent par infra-mince. Il suffirait alors au créateur d'imaginer des charnières qui nous font passer d'un univers à l'autre, du sensible à l'intelligible, de la luminance à la radiance, et vice-versa... Les recherches de Bernard Gerboud l'ont mené à ce croisement de l'invisible, de l'idéél, et de la perception, à la source-même de la genèse de la forme. La succession des lignes acérées de papier tranchant dans le nuages vaporeux de l'éclairage de ces grands tableaux produit ainsi une luminance-radiance qui met en œuvre tout un processus de doute, de suspens, point étirable où l'on ne sait pas ce qui produit le visible : soi-même ou le monde ? Là réside l'épaisseur de la nuit et le secret de l'artiste.